JUIN 2016 - N°29

Brexit or not Brexit, a lot of questions...

Par Jean-Marc Daniel, historien, économiste, professeur à l’ESCP

La campagne pour le référendum britannique a réveillé le souvenir exalté des Vikings, un peuple épris de liberté, toujours prêt à se projeter sur l’ensemble de la planète. Les partisans du Brexit comptent sur les solidarités mondiales de “l’Anglosphère” pour compenser un éventuel passage à vide dans les relations du pays avec le Vieux Continent. Des relations qui pourraient reprendre ensuite dans un climat de clarification inédit jusqu’à aujourd’hui...


D’inenvisageable il y a peu, le Brexit est devenu possible voire probable.

Pour le Royaume-Uni, cela constituerait évidemment un repli. Mais gageons que ce repli ne se ferait pas sur le pré-carré de l’Angleterre historique. En effet, le Royaume-Uni a des liens multiples. Sur le plan commercial, l’Union européenne occupe la première place, mais ce fut lent au point qu’elle n’a dépassé dans le commerce extérieur britannique les 50% que depuis 5 ans. Le Royaume-Uni garde, en outre, des liens significatifs avec l’Amérique si bien que son cycle conjoncturel a un déroulé plus proche de celui des Etats-Unis que de celui de l’Allemagne ou de la France. C’est en partant de ce constat que Tony Blair avait plaidé à la fin des années 90 le maintien du Royaume-Uni hors de l’Union monétaire. Il avait eu néanmoins l’habileté de faire voter par son parlement l’indépendance de la Banque d’Angleterre, selon la logique du traité de Maastricht, de façon à maintenir l’illusion d’une Grande Bretagne dans l’antichambre de la monnaie unique et à garantir, de ce fait, à la finance anglaise, la possibilité de s’affirmer comme un des principaux acteurs de la vie de l’euro.

Il y a un troisième ensemble qui joue un rôle important dans la vie anglaise, ce que certains proches de David Cameron appellent « l’anglosphère ». Pour eux, il convient de repartir de la vision du monde qui fut celle de Benjamin Disraëli et que décrivit l’essayiste allemand Oswald Spengler, l’auteur du Déclin de l’Occident, dans un autre de ses livres intitulé Prussianité et Socialisme.

A l’en croire, l’Angleterre n’aurait pas été structurée par les Angles et les Saxons mais par les Vikings, venus d’abord du Danemark puis de la Normandie française. L’âme anglaise serait l’héritière d’un esprit viking combinant une quête sans limite géographique de la richesse et un attachement indéfectible à la petite communauté du drakkar. Policé avec le temps, cet esprit nourrirait l’attachement à la liberté notamment économique et la volonté de projeter à la surface de la planète son « drakkar ». L’« anglosphère » en résulterait sous forme de réseau associant des pays démocratiques et commerçants. On y trouverait la Nouvelle Zélande qui a refusé d’abandonner son actuel drapeau incorporant l’Union Jack et l’Inde et le Pakistan devenus des maîtres au cricket et qui viennent de fournir à Londres un nouveau maire, mais ni les Etats-Unis ni une Ecosse aux nostalgies celtiques et cherchant des alliances continentales. Pour le Royaume-Uni, ou plus exactement l’Angleterre, le Brexit signifierait une réorientation de ses priorités vers Singapour, Hong Kong, Abuja ou Sydney. George Osborne, le chancelier de l’échiquier, a annoncé une apocalypse économique en cas de Brexit. Il n’en serait rien. Dans un premier temps, la livre accuserait le coup, avant qu’une politique monétaire restrictive ne stabilise la situation. Puis, le Royaume-Uni se tournerait vers l’anglosphère, continuant à commercer mais sans converser avec l’Europe continentale.

Quant à celle-ci, elle découvrirait qu’elle a oublié le Royaume-Uni depuis longtemps. Aujourd’hui elle se construit sans lui autour de la zone euro, pour laquelle le départ anglais conduirait à une clarification avec le rapatriement des opérations de compensation qui se font encore à Londres sur Paris ou Francfort.

Il faudrait ensuite entamer des négociations sur la sortie de la République tchèque ou du Danemark, un membre à bien des égards proches de l’anglosphère. Pour l’Union européenne, ce serait le début d’une nouvelle crise, avant tout politique, une de ces crises qui lui ont jusqu’à présent permis d’avancer. Il s’agirait alors d’aller vers une identification toujours plus forte entre elle et la zone euro, selon une logique que décrivait récemment le président Giscard d’Estaing dans son livre sur le projet « Europa ». Car l’autre choix serait la disparition, dont il serait facile mais vain de rendre coupable la « perfide Albion ».

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